Texte : Egalité et Réconciliation
Ce qui est intéressant, c’est de constater la profondeur de l’enracinement de la colère et la forme d’organisation qui se met en place. Celle-ci est non pas élaborée et pensée de manière pyramidale ou imposée par un système, mais bien plutôt de manière anarchiste au sens premier – sans autorité et sans règles formelles. Des « collectifs » locaux, comme d’insaisissables entités qui sourdent de la terre, agissant telle une hydre à plusieurs tête dans des actions à faibles prévisibilités. Tout ce que détestent à la fois un gouvernement autoritaire et son bras policier.
Nous sommes un peu passés des Gilets jaunes première génération qui furent à l’époque comme un cri primal et donc rudimentaire, à des Gilets jaunes protéiformes desquels les organisations syndicales sont encore tenues à distance (en vérité ce sont elles qui constatent qu’elles n’ont plus la main et ne peuvent plus trahir en organisant leur éternel arrangement avec le pouvoir) et qui semblent s’être enracinés de façon durable, comme un lichen providentiel qui recouvrirait chaque jour davantage notre pays.
Des « traumatisés » qui souffrent de blessures physiques mais aussi psychologiques.
En apparence, c’est un tableur Excel tout ce qu’il y a de plus banal. 150 cases, fond blanc, police d’écriture noire. Entre les lignes de ce « recensement » – non exhaustif, précisent ses auteurs – des blessures constatées par des soignants sur les manifestants de Sainte-Soline, publié le 31 mars par Les Soulèvements de la Terre, se dessine un effroyable tableau, empli de douleurs vives aux conséquences durables. Deux urgences vitales, deux nez « délabrés », un œil meurtri par des morceaux de verre, une plaie aux testicules, des dizaines d’éclats de grenades, une pelletée de blessures « profondes », parfois nécrosées, pouvant atteindre la « taille d’un œuf »… Ainsi que de l’anxiété, de la panique, des sensations de « dissociation ». Autant de troubles qui continuent, deux semaines après les faits, d’affecter un grand nombre de militants.
Sur le plan physique, d’abord. Nombreux sont ceux à porter les stigmates de la répression policière. Le pronostic vital de Serge, un manifestant touché à la tête par une grenade, est encore aujourd’hui engagé. Victime d’un tir de LBD à la gorge, Mickaël, la trentaine, a quant à lui dû être plongé dans le coma pendant plus d’une semaine, et subir une importante opération du cerveau. Il s’est depuis réveillé.
À ces deux cas très médiatisés s’ajoutent des dizaines d’autres. Médecin généraliste venue manifester à Sainte-Soline, Perle raconte avoir eu l’impression de se trouver « dans une zone de guerre ». Après avoir pris en charge Mickaël, la jeune femme s’est retrouvée sur un chemin où se trouvaient de nombreux blessés. « Tout le monde hurlait. Il y avait plusieurs personnes avec le visage en sang, des gens à terre, sous des couvertures de survie, qui pleuraient, à moitié conscients... » Les organes de certains ont été, selon ses observations, durablement endommagés. « Quand on ouvrait l’œil d’un d’entre eux, on voyait juste un globe [oculaire] rouge. Dans ce type de cas, le pronostic fonctionnel est engagé. »
Mais il y en a tant d’autres, qui débordent des titres de la presse. Colère des infirmières, des profs, des postiers, des cheminots, des habitant·es des quartiers populaires, des féministes, des parents d’élèves… pour n’en citer que quelques-unes. Il y a les colères installées, passées sous les radars des grands médias mais toujours présentes, comme celle suscitée par le pass sanitaire et la suspension des personnels non vaccinés. Les colères de fond, contre les injustices sociales et notre parodie de démocratie. Et enfin les colères manipulées, orientées contre des boucs émissaires – « immigrés », musulmans, chômeurs, fonctionnaires… Ces colères-là jouent sur les peurs. « La peur mène à la colère, la colère à la haine… » Il disait pas que des conneries, Yoda.
Mais son propos est quand même restrictif. Le calme olympien des jedi, qui par leurs émotions jamais ne doivent se laisser envahir, renvoie aux philosophes grecs qui prônaient la maîtrise de soi : pour eux, la colère était signe d’impuissance. Si les Romains ont valorisé l’indignation, il s’agissait d’une valeur aristocratique – « une vertu consistant à avoir honte des fautes commises par soi-même ou par autrui envers les exigences de son rang », explique le philosophe Pierre Zaoui (1). Dans le christianisme, la colère est l’un des sept péchés capitaux. Il s’agit là de visions essentiellement individualistes.
Qu’en est-il des colères collectives ? Nous entraînent-elles forcément du « côté obscur », comme le craignent Yoda et tous ceux qui, dans le courroux populaire actuel, voient déjà se profiler un beau score de l’extrême-droite à la présidentielle de 2027 ? Une chose est sûre : le soir du 20 mars, quand la motion de censure présentée pour dissoudre le gouvernement a échoué à neuf voix près, il faisait bon être dans la rue, avec d’autres gens en colère, plutôt que seul chez soi.
« La peur est le chemin vers le côté obscur : la peur mène à la colère, la colère mène à la haine, la haine mène à la souffrance. »
Des milliers de Canadiens manifestaient contre la réponse à la COVID-19 et les mandats de vaccination dans un mouvement qui ne se produit qu’une fois par génération.
Pourtant, après trois semaines de manifestations contre les politiques destructrices du Premier ministre Justin Trudeau, le gouvernement canadien a invoqué la Loi sur les mesures d’urgence, jamais utilisée auparavant, qui lui a donné le pouvoir de geler les comptes bancaires des manifestants, de les arrêter et de disperser brutalement les manifestations dans la capitale. C’était un moment controversé, regardé par le monde entier.
Un an plus tard, la Commission sur l’état d’urgence, dirigée par le juge Paul Rouleau et chargée d’enquêter sur le recours à la Loi sur les mesures d’urgence et sur d’autres questions connexes, a publié son rapport complet le 17 février. « Le rapport de 2 092 pages en cinq volumes déposé au Parlement vendredi », a rapporté la CBC, « est probablement le compte rendu le plus complet qui sera jamais produit sur les troubles de l’année dernière, et il fournit un verdict objectif qui fait autorité sur la décision historique de Justin Trudeau d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence. “La décision d’invoquer la loi était appropriée,” écrit Rouleau. »
La lutte des travailleurs de la santé soulève directement la subordination des soins de santé au profit privé. La domination du système mondial de soins de santé par des monopoles hospitaliers géants, des sociétés pharmaceutiques, d’équipement médical et d’assurance rend impossible la fourniture de soins de santé de haute qualité à tous, indépendamment des revenus.
Des sénateurs australiens ont interrogé un représentant de la police fédérale à ce sujet, qui a refusé de répondre. Les armes soniques sont déjà utilisées de manière routinière dans le monde entier.