Face à Internet comme face aux réseaux sociaux
Selon une étude de la British Standards Institution (BSI) relayée par The Guardian, sur 1 293 jeunes britanniques de 16 à 21 ans, 47% ont affirmé préférer vivre leur jeunesse dans un monde où Internet n’existe pas.
Par ailleurs, 68% d'entre eux se sentent moins bien dans leur peau après avoir passé du temps sur les réseaux sociaux.
Les données mettent également en évidence des expériences en ligne distinctes selon le sexe :
- 52% des jeunes femmes préfèreraient vivre dans un monde sans Internet.
- Les jeunes femmes se déclarent plus exposées au harcèlement (37 % contre 28 % des jeunes hommes).
- Elles sont plus susceptibles de comparer leur apparence ou leur mode de vie à ceux des autres, 85 % le faisant au moins parfois et près de la moitié (49 %) le faisant souvent ou très souvent.
- 79 % ont été influencées pour effectuer un achat grâce aux réseaux sociaux (par exemple, TikTok), contre 59 % des hommes.
L'enquête révèle aussi que les parents sont laissés dans l'ignorance quant aux activités en ligne de leurs enfants :
- 42 % d'entre eux admettent avoir menti à leurs parents ou tuteurs sur leurs activités en ligne.
- 43 % admettent avoir commencé à utiliser les réseaux sociaux avant l'âge de 13 ans (l'âge légal) en mentant sur leur âge.
- Plus d'un quart (27 %) déclarent s'être fait passer pour une autre personne en ligne.
- 40 % admettent avoir créé un faux compte ou un compte leurre (cela concerne plus les jeunes femmes, à 43 % contre 36 % pour les hommes).
En France le débat, dominé par une frange très réactionnaire et se situant uniquement dans la com, propose des mesures qui apparaissent à coté de la plaque au vu de ces réponses :
- Le 13 mai sur TF1, E. Macron a affirmé sa volonté d'imposer une vérification de l'âge sur les réseaux sociaux.
- Dans Le Figaro en avril, G. Attal et le pédopsychiatre Marcel Rufo ont proné l'interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans, un couvre-feu numérique pour les jeunes de 15 à 18 ans entre 22 heures et 8 heures du matin et une limitation à une heure par jour d'accès aux réseaux sociaux. Des mesures qui se heurtent à de nombreux obstacles, notamment juridiques...
A priori, le travail engagé par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, sur les effets psychologiques de Tiktok sur les enfants et les adolescents, parait plus pertinent car la commission se donne le temps de l'analyse et envisage des mesures gouvernementales engageant la responsabilité des plateformes, quand les précédemment cités ne pensent qu'à impliquer la responsabilité individuelle des jeunes et de leurs parents, et surtout pas celle du pouvoir face aux industriels.
Ainsi, les 30 députés membres de cette commission devront étudier les dispositifs de captation de l’attention, leurs effets psychologiques (notamment en termes de pensées suicidaires) et sur les relations sociales... Et donc proposer des mesures concrètes de protection des mineurs, notamment en matière de régulation des contenus, de sécurité numérique et de modération des pratiques de la plateforme.
Le constat d'une forte hausse de la consommation numérique
Or, les trois quarts (74 %) estiment passer plus de temps en ligne depuis la pandémie de Covid 19, les deux tiers passant plus de deux heures par jour sur les réseaux sociaux.
Plus d'un quart (26 %) passent quatre heures ou plus sur les réseaux sociaux, tandis qu'un cinquième passe trois heures ou plus à jouer à des jeux vidéo.
Vers un couvre-feu numérique ?
La moitié des participants souhaitent un "couvre-feu" numérique pour limiter leur temps passé sur ces plateformes. Son objectif serait de restreindre l’accès à certaines applications mobiles après 22 heures. Il faut dire que cette idée est dans le débat public en Grande Bretagne, portée par le gouvernement.
"Nous devons clarifier qu'un couvre-feu numérique seul ne protégera pas les enfants des risques qu'ils affrontent en ligne", prévient Rani Govender, responsable politique pour la sécurité des enfants en ligne à la National Society for the Prevention of Cruelty to Children, interrogée par The Guardian. "Ils pourront avoir tous ces risques à d'autres moments de la journée et ils auront toujours le même impact."
Par ailleurs, un tiers d'entre eux souhaite l'interdiction des téléphones dans les écoles.
"Un signal d'alarme pour tous"
"Que près de la moitié des jeunes préféreraient grandir sans internet devrait être un signal d'alarme pour nous tous", déclare Daisy Greenwell, cofondatrice de Smart Phone Free Childhood. "Nous avons construit un monde où il est normal pour les enfants de passer des heures chaque jour dans des espaces numériques conçus pour les maintenir accrochés."
"La jeune génération s’est vu promettre une technologie qui créerait des opportunités, améliorerait l’accès à l’information et rapprocherait les gens de leurs amis. Pourtant, nos recherches montrent qu’en parallèle, elle expose les jeunes à des risques et, dans bien des cas, nuit à leur qualité de vie", a déclaré Susan Taylor Martin, directrice générale du BSI.
Pour Andy Burrows, directeur général de la Fondation Molly Rose, une organisation caritative de prévention du suicide, "il est clair que les jeunes sont conscients des risques en ligne. (...) Ils souhaitent que les entreprises technologiques agissent pour les protéger", explique-t-il au Guardian.
L’essor de l’IA ajoute une préoccupation supplémentaire alors que, selon Sam Altman, beaucoup utilisent ChatGPT pour prendre des décisions importantes de leur vie.
Pour Susan Taylor Martin, "la technologie ne peut être une force positive que si elle repose sur la confiance que la vie privée, la sécurité, la sûreté et le bien-être des personnes ne seront pas compromis. Les entreprises qui créent ces services doivent donner la priorité aux besoins des utilisateurs finaux de tous âges, en particulier des adolescents, afin de garantir la protection de leur santé et de leur vie privée".
Pour Daisy Greenwell, "Pendant trop longtemps, les intérêts des puissantes entreprises technologiques ont été prioritaires sur le bien-être de la prochaine génération. Nous avons l'occasion de repenser le monde numérique dans lequel nos enfants grandissent. Leur santé mentale et leur droit à une enfance saine et en sécurité doivent primer sur le profit."